Réapprendre à écouter son corps: une réflexion sur le rapport au corps, dans nos sociétés modernes
Vous verrez dans cet épisode :
- L’un des plus grand scandale de santé publique ayant lieu actuellement aux États-Unis.
- Pourquoi les entreprises du médicaments ont autant de pouvoir.
- Pourquoi on a tendance à fuir les ressentis du corps.
- Qui écouter, le corps ou le mental ?
- La meilleure (et l’unique) voie pour améliorer notre santé physique et mentale.
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Réapprendre à écouter son corps Podcast
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Retranscription de l’épisode ci-dessous.
À la dernière minute avant le début du procès, quatre grandes entreprises du médicament ont décidé de faire un premier paiement de 260 millions de dollars dans un accord avec la partie adverse. Ce premier paiement sera suivi de nombreux autres pour un total, selon les premières estimations, de 50 milliards de dollars, oui milliards. C’est énorme.
Ces quatre entreprises ont fait ce choix, car cela reste préférable à un procès dont l’aboutissement risque de leur coûter bien plus cher. Car l’accusation est de taille.
Ce dénouement se passe aux États-Unis, où l’état fédéral a décidé de poursuivre Teva Pharmaceuticals, le plus gros producteur de médicaments génériques aux US, et trois autres entreprises, sur des charges de conspirations pour profiter de l’addiction et de la mort de ses clients.
Ces quatre entreprises auraient contribué à et aggravé l’addiction aux médicaments opiacés qui seraient à l’origine de plus de 400,000 morts sur ces deux dernières décennies. Ces entreprises sont accusées d’activement promouvoir les médicaments opiacés en exagérant leur efficacité et surtout en minimisant leur effet addictif.
Teva et les autres entreprises avaient connaissance, depuis plusieurs années, des recherches scientifiques pointant vers le risque d’une épidémie d’addiction à ces médicaments à base d’opium. Mais ces entreprises ont décidé de continuer à mettre en avant ces médicaments auprès des médecins et des municipalités, car ils sont extrêmement profitables.
GROS SOUS, GROS SCANDALES
C’est un scandale sanitaire sans précédent aux US. Même la FDA (Food and Drug Administration) qui est une agence fédérale « responsable de protéger la santé publique en s’assurant de la sûreté, efficacité et sécurité des médicaments et produits alimentaires » risquait d’être impliquée dans un tel procès.
Un nombre indécent de victimes, des entreprises vénales, une agence nationale qui ne fait pas son travail, et des conflits d’intérêts éclaboussant de nombreuses sphères administratives et politiques… ce n’est malheureusement pas une nouveauté – en France, en ce moment même le procès du Mediator commence – même si l’ampleur de cette affaire peut surprendre.
Mon intention ici, n’est pas seulement de pointer votre attention vers cet échec de santé publique, mais surtout de vous proposer d’explorer plus en profondeur la racine de ce dysfonctionnement sanitaire de nos sociétés modernes.
NOURRIR LA BÊTE
L’industrie du médicament est la cinquième plus grande industrie au monde. Elle a une très grosse force de frappe en terme de marketing et de lobbying. Cette industrie affecte le choix des médicaments prescrits, ainsi que les politiques de santé publique.
Mais c’est finalement le consommateur qui est à l’origine de ce pouvoir qu’ont accumulé ces entreprises. C’est le consommateur qui paie, à travers son porte-monnaie ou sa couverture sociale, ses boites de médicaments. Le médicament est un produit qui répond comme tous les autres produits à la loi du marché : celle de l’offre et de la demande. Et la demande est très haute.
Mais quelle est cette demande qui a permis à de tels médicaments d’envahir le marché américain et dans une moindre mesure, le reste du monde ?
La réponse courte : le besoin de fuir les ressentis du corps.
LES OPIACÉS EN FRANCE
Pour comprendre cela, regardons de plus près ce que sont les médicaments opiacés. En France ils sont connus sous les noms de codéine, morphine, tramadol ou encore oxycodone. Ces médicaments sont dérivés de la plante pavot à opium, appelé aussi pavot somnifère ou synthétisé en laboratoire sur le même modèle. Ils ont un effet relaxant, antidouleur, et ils font aussi ‘planer’.
En France, ils sont prescrits après une opération chirurgicale, un traitement dentaire ou encore pour le sevrage d’addictions à l’héroïne. Leur utilisation est beaucoup moins prévalente qu’outre-Atlantique, mais elle est étroitement surveillée.
«La situation n’est pas comparable (à celle des EU), rassure d’emblée le Pr Nicolas Authier, chef du service de pharmacologie médicale du CHU de Clermont-Ferrand et directeur de l’Observatoire français des médicaments antalgiques. En revanche, l’augmentation rapide du nombre d’intoxications, d’hospitalisations et de décès montre que nous devons rester vigilants.»
Aux États-Unis, cette classe de médicament est utilisée pour des situations bien plus communes : mal de tête, mal au ventre, diarrhée. Si aujourd’hui, ressentir de la douleur ou de l’inconfort semble être de plus en plus inacceptable, le succès de ces médicaments n’est alors pas surprenant.
On vit en effet une époque où notre attention est très peu connectée au corps. L’attention est perdue dans les pensées – on ressasse le passé ou on se projette dans le futur -, ou elle est captée par les écrans (téléphone, télé).
Et lorsque notre être se manifeste à travers le corps ou les émotions, par exemple par une douleur physique ou un sentiment de frustration, on va chercher à fuir ce ressenti inconfortable au plus vite : soit en inhibant les ressentis du corps à travers l’alcool, les drogues ou les médicaments, soit en cherchant à se distraire.
CE CORPS QUI M’AGRESSE
On vit tellement dans le mental que les ressentis bruts du corps comme la douleur ou les émotions sont comme une douche froide nous sortant d’une torpeur confortable.
On vit de plus en plus coupé de nos sens. On filtre nos interactions et nos expériences du quotidien à travers le mental. Au lieu de vivre l’expérience dans le moment présent, on temporise évaluant si cela va nous être utile ou pas. Les ressentis du corps (physique et émotionnelles) sont devenus secondaires aux prérogatives du mental.
On ne veut que ressentir le corps à travers le plaisir des sens. Mais lorsque le corps entre en conflit avec les projets du mental, on va le faire taire au plus vite. On va le remettre en mode vieille. Et quoi de plus simple que d’avaler une pilule pour repousser les appels du corps.
Il est intéressant de noter que la morphine découverte en 1817 par le chimiste allemand, Friedrich Wihelm Adam Sertüner, porte un nom dérivé de Morphée, divinité grecque du sommeil.
Les médicaments voilent les sensations douloureuse et inconfortable, mettant en sommeil notre être sensuel, pour que le mental puisse vaquer à des occupations qui lui semblent bien plus nobles et importantes.
LE FANTASME DE L’IMMORTALITÉ
Il est vrai que nous vivons une époque de grandes avancées technologiques. Le chemin parcouru – les révolutions industrielles puis technologiques – a transformé en profondeur la société humaine. Les projets à venir – l’intelligence artificielle, la méthode CRISPR (modification génétique), la nanotechnologie, la colonisation d’autres planètes – ont tout autant le potentiel de révolutionner ce que c’est d’être humain.
Notre corps biologique, fragile et éphémère à l’échelle de l’histoire, risque alors d’être perçu comme une entrave à notre évolution à travers le temps et l’espace. Cet habitacle fait de chair et d’os semble cruellement limiter l’expression de notre plein potentiel.
Certains espèrent une symbiose avec les machines pour ajouter des décennies à leurs espérances de vie, et pourquoi pas ultimement se séparer totalement du corps pour habiter une machine immortelle. Cela peut sembler de la science-fiction, mais il existe déjà aujourd’hui des projets bénéficiant de grand financement, visant à reproduire le contenu d’un cerveau dans un ordinateur (le projet NeuraLink d’Elon Musk).
Au vu de cette vision grandiose du futur, un mal de ventre peut sembler comme mesquin, une perte de temps et d’énergie. Et même si l’on n’est pas un futuriste convaincu des bienfaits de l’intelligence et de la technologie, on ne va pas laisser le corps (une sensation de fatigue, un coup de blues) nous empêcher d’aller au travail ou de socialiser.
Notre corps (le physique, et les émotions) est perçu comme un animal de compagnie. On est prêt à s’en occuper – lui donner à manger et lui permettre d’assouvir certains de ses besoins -, mais il ne faut pas qu’il demande trop ou qu’il se manifeste lorsque l’on est occupé à autre chose. Sinon, on fait le taire.
ALORS …
Qu’est ce qu’on a vu jusque là ?
On a vu que le mental est le big boss qui sait (qui croit savoir) ce qui est important pour nous.
Le corps (le physique, les émotions) est notre part animale. Le boss le perçoit comme n’étant pas très futé. Il sait que le corps peut donner beaucoup de plaisir, mais peut aussi devenir un vrai emmerdeur.
Et lorsque le corps se rebelle, le boss fait le nécessaire – ce qui bien souvent consiste à endormir le corps en lui donnant une lichée de whiskies, ou une petite pilule colorée – pour qu’il puisse continuer à gérer le quotidien de sorte à nous rendre heureux.
Mais est-ce que ça marche ?
Est-ce qu’éviter de ressentir le corps pour continuer à agir dans notre quotidien est la solution pour une vie heureuse et épanouie ?
La réponse courte : non, ça ne fonctionne pas.
LE CORPS EST L’UNIQUE PORTE D’ENTRÉE
Note : Ne croyez pas sur parole la partie qui va suivre. Je vous invite à explorer par vous-même et à faire votre propre conclusion.
On ne peut être heureux qu’en habitant pleinement notre corps. En se coupant des sensations inconfortables à travers les médicaments ou les distractions, on se coupe aussi de notre capacité d’être pleinement présent.
À force de se perdre la plupart du temps dans le mental, on ne sait plus vraiment ce qui se passe en nous. On devient étranger à notre propre corps. Pire encore, on perçoit le corps et ses manifestations comme un danger, comme une agression
La réalité, c’est ce que l’on souhaite tous – les sentiments de paix, de confiance, de joie – ne peut se vivre que dans le moment présent.
Et notre accès au moment présent, ce sont nos ressentis. Ce n’est qu’à travers nos sens, donc à travers le corps, que l’on peut se reconnecter à la joie profonde et inhérente d’être en vie.
Prenez le temps de faire quelques respirations, de ressentir l’expansion du corps avec l’inspiration suivie de son relâchement avec l’expiration. Encore.
Lorsque l’on est pleinement attentif à ce qui se passe dans le moment présent, à travers nos sens et nos ressentis, on se sent naturellement bien. C’est aussi simple que cela.
LA MAUVAISE SOLUTION
Ce qui est triste avec cette épidémie d’addiction mortelle aux médicaments opiacés, c’est que les victimes recherchaient, c’est ce que l’on recherche tous : une vie avec moins de souffrance et plus de joie.
Leur corps était en souffrance, car elles se sont coupées de lui. Elles ont négligé les besoins du corps, le poussant toujours plus à travers une mauvaise alimentation, de la sédentarité, manque de sommeil, l’abus de certaines de substances, etc.
Ces personnes pensaient trouver du réconfort en étouffant encore plus le corps. Par l’utilisation d’antalgiques, d’antidépresseur, ou de somnifère, elles ont cherché à fuir leur propre corps.
Mais bien entendu, cela n’est pas possible. Et plus on cherche à faire taire le corps, ou à nous échapper de ces ressentis, plus le corps va se manifester fortement. Les douleurs physiques et émotionnelles ne sont pas un mal à effacer, mais un cri du corps nous rappelant l’importance de revenir pleinement dans les ressentis du moment présent.
Car comme on l’a vu, ce n’est que dans le moment présent que l’on peut vivre ce à quoi nous aspirons tous : les sentiments de paix, de confiance et de joie.
Bien entendu, j’aimerais noter ici que vouloir gérer et diminuer les douleurs physiques et émotionnelles est normal et naturel. Il ne s’agit pas d’être masochistes et de vivre avec de la douleur alors que l’on pourrait la diminuer.
Mais, il faut faire cela en étant à l’écoute du corps plutôt que contre le corps. Les symptômes et douleurs sont presque toujours un appel au changement : celui d’être davantage attentif au moment présent.
Au lieu de pousser à travers le corps pour suivre les demandes du mental, on va plutôt agir à partir d’un ancrage dans le corps et le moment présent. Ce n’est que comme ça que l’on peut évoluer avec grâce et joie dans notre quotidien.
Bien sûr, ce changement de perspective va nécessiter une période de transition. C’est pour cela qu’il est essentiel de nourrir, encore et encore, l’intention d’habiter pleinement son corps.
Ce n’est pas Teva Pharmaceuticals, ou les autres entreprises du médicament, ou même les agences nationales de santé qui vont vous soutenir dans ce retour au corps. Le problème et la solution ne viennent pas d’eux, mais de chacun d’entre nous.