Écouter l’épisode Le Pouvoir de la Compassion
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Version Texte
Dans le milieu des années 70, Tara travaillait dans une association qui aidait les plus démunis à se loger. À travers des syndicats de locataires, elle et ses partenaires, faisaient pression sur les propriétaires afin qu’ils gardent les loyers à des tarifs raisonnables et offrent des lieux de logements qui soient décents.
Un de ces syndicats de locataires était composé de familles habitant dans un immeuble détenu par un propriétaire connu pour son indécence et sa mauvaise foi. La porte-parole de ce syndicat, Denise, était une femme sûre d’elle et bien articulée. Elle travaillait dur pour galvaniser le groupe contre une importante augmentation des loyers qui risquerait de mettre beaucoup de famille à la rue.
Découvrir l’autre
À travers les nombreux mois nécessaires pour structurer le syndicat Tara et Denise sont devenues proches. Tara a dîné chez Denise, elle a joué avec ses enfants et elle était devenue familière avec les difficultés auxquelles Denise et sa famille devaient faire face. Leur appartement avait été vandalisé plusieurs fois, et il était presque impossible de garder dehors les rats et les cafards.
Le fils ainé de Denise était en prison. Un autre souffrait de dépendance à la drogue. Son mari était au chômage et endetté. Nourrir et habiller ses enfants, et chauffer la maison n’étaient pas toujours évident. Tara admirait l’implication de Denise dans le syndicat alors qu’elle avait déjà tant à faire chez elle.
Une note sous la porte
2 jours avant qu’une « grève des loyers » soit cordonnée, Denise a laissé sous la porte de Tara une note lui disant qu’elle quittait le syndicat. Tara était surprise et déçue, mais elle avait une bonne idée de ce qui a pu se passer. Tara savait qu’il arrivait souvent qu’un propriétaire soudoyât l’un des locataires pour faire capoter un projet. Et en effet, Denise avait été « achetée » par l’offre d’une nouvelle serrure, d’un break sur ses loyers, et d’un job à mi-temps pour son fils.
Les autres locataires, se sentant trahis et démoralisés, ont appelé Denise une hypocrite et une vendue. Ils changeaient de trottoir pour éviter de la croiser. Ils ne laissaient plus leurs enfants jouaient avec les siens. Elle était devenue une paria.
Ce n’était pas la première que Tara rencontrait ce genre de situation. Et lorsque c’était arrivé dans le passé, elle en avait voulu au « traitre », car cela affectait tout le monde.
Connaître c’est aimer
Mais avec Denise, c’était différent. Tara savait à quel point Denise essayait d’aider sa famille. Elle avait ressenti le degré d’anxiété auquel Denise devait faire face et son besoin d’amour.
Si nous pouvions lire l’histoire secrète de nos ennemis, nous pourrions trouver en chaque personne suffisamment d’inquiétude et de souffrance pour désarmer toute hostilité.
– Henry Longfellow, Poète américain, 1807-1882.
Tara connaissait les souffrances et les espoirs de Denise. Elle tenait à elle.
Si Tara pouvait ressentir de la compassion envers Denise, son ressenti envers les propriétaires, c’était une autre histoire. Elle les considérait comme étant de « mauvaises » personnes.
Le grand méchant homme blanc
Quelques années après l’épisode avec Denise, Tara a eu la parfaite occasion de faire face à l’une de ces « mauvaises personnes » et voir ainsi plus en profondeur. L’une des amies de Tara connaissait un homme d’affaires à la tête d’une grosse entreprise. Il voulait organisait dans sa boite un stage de pleine conscience. Il fût décidé une rencontre au déjeuner pour que Tara puisse parler à l’homme d’affaire de son programme de méditation.
L’homme d’affaires correspondait au stéréotype de Tara du riche homme blanc qui abusait et opprimait les plus faibles. Il avait été poursuivi en justice pour systématiquement avoir bloqué l’ascension des femmes dans sa société. Il discriminait surtout les femmes d’origine africaine. Tara accepta à contrecœur de le rencontrer, et elle s’attendait au pire.
Elle voulait qu’il soit heureux
Cependant, à leur déjeuner, Tara nota que cet homme était avant tout un … humain. Au début de leur rencontre, l’homme d’affaires se vanta un peu, et Tara pouvait voir qu’il cherchait à être apprécié. Elle apprit que la mère de cet homme a eu un triple pontage cardiaque quelques semaines auparavant. Son ainé souffrait d’un diabète de type I, et les week-ends, sa femme lui demandait de jouer davantage avec les enfants. Il expliqua à Tara qu’il les aimait plus que tout, mais qu’à chaque fois des importants coups de fil l’empêchait d’apprécier les barbecues, les jeux de pingpong ou les séances vidéos en famille.
Il se demandait si la méditation de pleine conscience pouvait l’aider à relaxer alors qu’il était tant sollicité. Tara savait qu’elle et cet homme étaient certainement en désaccord sur la plupart des dossiers politiques et de sociaux. Mais elle l’aimait bien et elle voulait qu’il soit heureux.
Ayant médité la douceur et la compassion, j’ai oublié la différence entre moi et les autres.
– Milarepa
Voir qui est vraiment face à nous
Même si l’on n’aime pas une personne, voire ses vulnérabilités, va nous permettre de lui ouvrir notre coeur.
On peut être en désaccord avec elle. On peut ne jamais vouloir l’inviter chez soi.
Cependant, nos impressions et nos opinions ne devraient pas nous empêcher de voir que, comme nous, cette personne ne veut pas souffrir et aspire à être heureuse. Lorsque nous voyons qui est vraiment face à nous, nous pouvons entrevoir un peu de leur « histoire secrète », et alors ressentir une compassion naturelle envers eux.
Une belle continuité à cet article est le poème de Khalil Gibran sur l’indignation.
Tara Brach pratique et enseigne la méditation dans la tradition bouddhiste depuis plus de 35 ans. Elle est l’auteur de Radical Acceptance: «Embracing Your Life With The Heart Of Buddha », 2003.
La version texte du post initialement publiée en février 2015
6 réponses sur « Voir Au-Delà des Apparences: le Pouvoir de la Compassion »
Bonjour Moutassem,
Je ne suis pas certain de comprendre le message de cet article. Pourrais-tu préciser le bienfait de la compassion dans le contexte?
En effet, si je comprends bien le sens de la tolérance envers les gens les plus fragiles, je ne vois pas en quoi s’instruire des causes de la méchanceté amène un bienfait.
Bonjour Jean-Christophe,
Comprendre les causes d’un comportement qu’on perçoit comme « méchant » ou mauvais, nous permet de mieux comprendre la personne et de prendre un peu de recul. Si l’on ne fait pas ça, on va laisser la colère ou le jugement « c’est mal ce qu’il fait, je le sais car je suis une personne bien » nous dominer.
Et personne ne va bénéficier de cette dynamique.
Le « méchant » va le rester et nous on va rester sur notre piédestal en pensant que l’on est mieux que cette personne.
L’empathie c’est de voir que l’on agit tous selon nos croyances et nos valeurs. C’est seulement lorsque l’on a intégré cela que l’on peut avoir une vraie communication avec l’autre.
Je crois qu’écouter les autres, c’est important, dans tous les moments, même les plus difficiles ; en tant qu’auxiliaire de vie, c’est ce que j’essaie de faire : écouter sans jugement, sans m’énerver. Depuis que je médite, j’y arrive plus facilement.
Merci pour ce partage d’expérience Chantal
Bonjour,
C’est souvent une seconde nature chez moi, je me fais couramment « l’avocat du diable ».
Quand une personne a un comportement méchant, je me pose toujours la question : « qu’est-ce qui la fait réagir ainsi ?» Parfois c’est agaçant d’ailleurs, parce que c’est tellement plus facile et confortable de juger et de détester la personne, mais cela finit par nous pourrir la vie.
Éprouver de l’empathie nous rapproche en effet en tant qu’êtres humains. De là, on se dit qu’après tout, chacun a ses raisons, ses blessures qui nous poussent souvent malgré à « être méchant » dans certaines situations.
Merci Frédérique,
C’est vrai qu’il est plus facile, par habitude, de juger mais comme vous le notez cela finit par nous faire du mal. La colère, l’agacement, le sentiment d’injustice… tout cela nous mange de l’intérieur.