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Le jour de mon retour à Bangkok – après un cours voyage en France – j’ai croisé Mike dans le jardin de ma résidence.
« Ah tu es de retour! Content d’être à nouveau à Bangkok? »
L’enthousiasme de Mike semblait sincère. La soixantaine passée, une tête de plus que moi, et une barbe sel poivre, Mike pourrait passer pour le sosie de Sean Connery (le « vrai » James Bond, vous vous en souvenez?).
« Oui, content d’être là. Fatigué, mais content d’être là. »
15 heures de voyage entre Nice et Bangkok en passant par Dubai ça fatigue. Malgré une rangée de sièges rien que pour moi, je n’ai pas réussi à dormir plus d’une heure.
En quittant Mike pour remonter à mon appartement, je constate qu’avec la joie d’être à nouveau à Bangkok qui est une sorte de nouvelle aventure de vie, il y avait aussi de la tristesse: la tristesse d’être loin de ma famille et surtout de mes nièces et neveux.
Comme un contre poids à la joie et l’enthousiasme face à la nouveauté, cette tristesse me ramène les pieds sur terre. Et je ressens au fond de moi que c’était une bonne chose.
Prendre la direction qui pèse la plus à l’âme
Traces de lumières de Faouzy Skali est l’un de mes livres de chevet. Écrit dans le langage poétique du soufisme, ce livre est une invitation à dévoiler couche par couche notre compréhension du monde. Chaque fois que je relis Traces de Lumière, ses lignes me font entrevoir avec plus de subtilité mon monde intérieur.
Et à chaque fois aussi, je bute sur la même partie. Là où il est dit que lorsque l’on se retrouve face à une décision, il faut choisir celle qui pèse la plus à l’âme.
J’ai eu longtemps du mal à comprendre cela. Pour moi il me semblait plus juste de choisir ce qui nous inspire, ce qui nous rend heureux, et non pas ce qui nous pèse!
Mais avec ma décision de vivre en Thaïlande, je commence à mieux comprendre ce que l’auteur suggère. Ce qui pèse à l’âme est ce qui a de la consistance, c’est ce qui est fondé dans la réalité.
Trop souvent, lorsque l’on est face à un choix important à faire, on recherche ce qui va nous rendre plus heureux. On s’imagine qu’en ajoutant ou qu’en supprimant quelque chose ou personne dans notre vie, on sera alors bien mieux.
Mais ce que l’expérience nous apprend – et il suffit de regarder en arrière vos choix passés – c’est que toute nouvelle direction amène avec elle son lot de bienfaits et son lot de difficultés;
Attendre d’un changement qu’il nous rende heureux, c’est se préparer à la déception, c’est ne voir qu’un aspect de la réalité. Prenez pour exemple, l’exaltation accompagnant une nouvelle rencontre amoureuse ou un nouveau projet professionnel, elle finit toujours par retomber lorsque la réalité nous rattrape.
Le changement n’est pas là pour améliorer nos circonstances de vie, mais plutôt pour nous permettre de plonger plus profondément en soi-même.
Il est plus sage d’aller vers le changement en sachant que de l’autre côté il y aura du support, mais aussi des difficultés.
« Une fois que ma décision est prise, j’hésite longtemps. »
– Jules Renard
On peut alors se demander pourquoi changer, pourquoi prendre un risque en allant vers l’inconnu, pourquoi faire des efforts si le résultat est toujours un mix de plaisirs et de souffrances?
Parce que, et c’est là mon opinion que je partage avec vous, la direction que l’on décide de donner à sa vie est dictée par notre monde intérieur plutôt que pas nos circonstances extérieures.
On va vers le changement pour approfondir l’expérience d’être soi et non pas pour trouver un bonheur imaginaire.
Faire un choix qui pèse à l’âme c’est décider de prendre une direction non pas pour améliorer notre confort de vie ou pour augmenter notre plaisir, mais parce que c’est un appel qui vient de l’intérieur et qui nous invite à vivre plus pleinement.
C’est un choix qui pèse par sa consistance dans la réalité. On n’est plus dans l’exaltation, dans l’espoir romantique, ou dans le fantasme de réussite et de puissance. C’est un choix lucide qui émerge avec clarté et force.
Si vous êtes face à un choix difficile: avoir des enfants ou pas, s’installer avec une personne, ou quitter son partenaire de vie, changer de travail, acheter ou pas une maison…, je pense qu’il est utile de réaliser que le résultat de ce choix n’est pas là pour vous rendre plus heureuse – on a vu que les circonstances de vie, quelles qu’elles soient viennent toujours avec leur lot de joies et de tristesses -, mais plutôt pour vous permettre de dévoiler de nouvelles facettes de qui vous êtes.
Je ne pense pas que l’on soit là pour avoir plus de confort, de sécurité, de pouvoir, de plaisir, mais plutôt pour élargir la palette de nos ressentis, pour sortir de nos automatismes et découvrir de nouvelles ressources en soi.
Beaucoup de personnes s’emprisonnent dans un mode de vie et souffrent de cela, car elles ressentent la tension entre l’élan vers le changement qui vient de l’intérieur et la peur du changement.
Note: Cette tension peut même créer des douleurs au niveau du plexus solaire. Ça veut « sortir », mais on résiste. Voir Douleur Plexus Solaire.
Elles ont peur du changement, car elles s’inquiètent de faire le mauvais choix. Elles attendent d’être sûr que ce soit le bon choix, celui qui apaisera leur souffrance, leurs manques, leurs peurs, mais, comme on l’a vu, il n’y a pas de « bon » choix ou de direction idéale. Où que l’on aille, l’expérience humaine vient avec son lot de positifs et de négatifs.
Si vous ressentez cette tension, le problème n’est pas votre situation actuelle, ou la nécessité de changer, mais plutôt votre éloignement de votre nature profonde.
J’entend souvent « je ne sais plus ce que je veux, je ne sais plus ce que j’aime, je suis perdu… »
Lorsque l’on vit uniquement tourné vers l’extérieur, lorsque la vie consiste à « gérer » le quotidien, on devient déconnecté du ressenti d’être soi, de l’appréciation d’être en vie et d’interagir avec le monde. Ce qui nous apparait comme un choix difficile à faire est surtout une indication que l’on s’est éloigné de notre nature profonde. Plus le choix semble difficile plus l’on s’est déconnecté de soi.
Les signes d’une déconnexion de soi
– On est aussi déconnecté du corps, on ne l’écoute plus, et à cause de cela, on accumule, tensions, douleurs et symptômes divers. (Voir aussi conscience du corps)
– On ne sait plus ce que l’on veut.
– On s’accroche à ce que l’on connait, on va moins vers les inconnus, on apprécie la routine.
– On ressent un sentiment d’insatisfaction sans savoir ce qui pourrait l’apaiser. (Voir aussi Insatisfait Chronique?)
Le changement est là pour nous aider à revenir vers soi. Et parfois il n’est pas nécessaire de tout chambouler, un simple changement de perspective sur sa relation de couple ou sur son travail par exemple peut suffire à cela.
Je m’engage sur le petit pont qui me sépare du restaurant que j’ai en tête et à mi-chemin je m’arrête. Il vient de pleuvoir et la température a agréablement baissé. La rivière charrie de gros morceaux de bois, et en levant un peu la tête j’aperçois le toit d’un temple derrière les arbres en bordure. Plus loin encore se dessine une autre forêt, celle composée par les nombreux immeubles du centre-ville. Je suis excité d’être là et de pouvoir profiter de cette culture traditionnelle et urbaine à la fois.
Mais je ressens aussi un pincement au coeur lorsque je repense à mon neveu se cachant le visage dans ses bras pour que je ne le voie pas pleurer le moment de mon départ à l’aéroport.
Cette combinaison de joie et de tristesse, d’excitation et de nostalgie, de confiance et de doute, ma rassure.
Cela m’indique que je suis bien ancré dans la réalité et attentif à mes ressentis.
Cela fait aussi naturellement émerger un sentiment d’appréciation. L’appréciation de pouvoir expérimenter une riche palette de ressentis. Lorsque l’on n’attend plus de nos circonstances de vie, de notre environnement, qu’ils répondent à nos besoins et à nos envies, on peut alors suivre la petite voix intérieure.
Je réalise que certaines personnes, et cela est peut-être votre cas, se trouvent face à une décision qui peut avoir des conséquences profondes sur leur vie. Ou bien vous êtes peut-être dans une situation très difficile et changer votre environnement vous semble indispensable pour être mieux.
Même sans ces 2 cas, je pense qu’il est utile de méditer sur ces 2 points que l’on vient de voir.
1) Le premier c’est que derrière le changement, vous retrouverez un équilibre de support et de challenges, de plaisir et de frustrations, de liberté et de contraintes.
Nous vivons une expérience sensorielle et duelle. Comme sans le froid il n’y a pas de chaleur, sans tristesse il n’y a pas de joie. Vouloir ne vivre qu’un aspect de l’expérience humaine, c’est illusoire, et c’est se vouer à la déception et à un sentiment d’insatisfaction chronique.
2) Le deuxième point c’est que le changement est avant tout là pour nous permettre d’approfondir la connaissance de soi et d’élargir la palette de nos ressentis.
Pour fermer cette réflexion, j’ajouterais que l’environnement finit par naturellement s’améliorer lorsque l’on adopte cette approche.
C’est en développant de l’appréciation pour les plus et les moins de la vie, c’est lorsque l’on s’arrête d’attendre de l’extérieur qu’il réponde à notre sentiment d’insatisfaction, que l’on pourra alors suivre la petite voix intérieure.
Et alors, on re retrouvera petit à petit dans un environnement qui nous correspond de plus en plus et cela ne sera pas forcément le cadre de vie que l’on pensait vouloir.
C’est en gros l’opposé de ce que la société nous propose: changer votre de vie (rencontrez la bonne personne, achetez une nouvelle voiture, une maison…) pour pouvoir ressentir de la satisfaction et de l’appréciation.
C’est le contraire. C’est en commençant par ressentir de l’appréciation pour la richesse de la vie – encore une fois en ce qu’elle a de challenges et de réconforts – qu’ on va pouvoir se libérer des désirs imaginés et créer une réalité qui nous reflète.