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Instagram, Révélateur De Qui Nous Sommes?

« Prenons des photos, mais surtout vivons pleinement l’expérience. »

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À la fin des années 90, j’ai vécu dans l’East Bay en Californie du Nord. Les week-ends, je traversais le Bay Bridge pour profiter de San Francisco, une ville animée avec ses nombreux restaurants, bars, festivals et expositions.

J’allais souvent dans le Golden Gate Park qui en plus d’être un grand parc offrait en son centre le Young Museum. Créé en 1895, ce musée dédié aux beaux-arts, proposait et propose encore une grande palette d’expositions.

L’une des expositions les plus appréciées est Bouquets to Art. Pour cet évènement, des fleuristes créent des bouquets en réponse à des oeuvres d’arts (anciennes et contemporaines). Pour l’édition de cette année 2018, la 34e, le musée a dû faire face à un problème qui n’existait pas à l’époque de mon séjour: Instagram!

Depuis les récentes années, le Young Museum a reçu plus de mille doléances de personnes notant que l’utilisation excessive des téléphones portables par beaucoup de visiteurs a affecté leur expérience de l’exposition.

Une oeuvre de l’expo Bouquets to Art, 2018

Pour y faire face, le musée propose maintenant des créneaux « no photo please » de quelques heures par jour. C’est un compromis, la direction ne peut pas se permettre d’interdire tout le temps la prise des photos, car les réseaux sociaux sont devenus un moyen de faire connaître l’évènement, et de plus en plus de personnes viennent uniquement pour prendre des photos.

Prendre des photos à tout-va est devenu le nouveau normal

Dans une interview pour le Time magazine, Morgan Holzer, une trentenaire habitant San Francisco, note avoir été surprise par la furie autour des oeuvres. Les portables à la main, c’était une frénésie de clics. En approchant l’un des bouquets pour lire le descriptif, elle s’est sentie un peu coupable, car elle empêchait les autres de prendre une photo. Elle avait l’impression d’aller à l’encontre de la majorité pour qui la prise de photos et de selfies semble être devenue le nouveau normal.

Pourquoi n’arrive-t-on plus à simplement vivre l’expérience sans chercher à la capturer? Surtout que comme le note une étude publiée dans la revue Psychological Science, les personnes qui prennent des photos à une exposition plutôt que de simplement observer ont plus de difficulté à se rappeler ce qu’ils ont vu.

L’invasion des téléphones concerne tous les musées. Ici au Museum of Modern Arts (New-York) (photo: Joshua Bright)

Il semblerait que vivre l’expérience ne suffise plus. Il faut la capturer et la montrer aux autres. La raison pour cela c’est que l’on continue à dépendre de l’approbation des autres. Je dis continue car c’est un mécanisme qui commence durant l’enfance. Un enfant pour survire a besoin de l’attention et de l’amour de ses parents. Il va rechercher leur attention à travers les moyens qu’il a: les pleurs en tant que bébé, puis en grandissant, il va rechercher leur amour garant d’une attention bienveillante. Si ce besoin d’acceptation est naturel pour un enfant, il devient problématique lorsqu’il persiste à l’âge adulte.

Besoin d’approbation

Je rencontre souvent chez l’autre ce besoin d’approbation. Au lieu de vivre à partir de ses ressentis, on vit à partir de l’approbation de l’extérieur (la société, ses proches, son modèle familial, son ou sa partenaire de vie). On croit que l’on a besoin d’agir et d’être d’une certaine façon pour être apprécié et aimé.

Ce mécanisme inconscient est dû au fait que l’on n’est pas encore réellement passé à l’âge adulte. On continue à croire que l’on a besoin de l’approbation d’autrui pour exister. Cette transition incomplète trouve son origine dans une enfance où l’on a ressenti la peur de perdre l’amour de ses parents.

En effet, des parents peu présents, peu communicatifs, soucieux ou dépressifs, risquent malgré eux de créer un environnement où l’enfant perçoit un manque d’amour. Ils ont beau aimer leur enfant, la qualité de leur présence (physique et mental) est amoindrie plongeant l’enfant dans un état d’inquiétude. L’enfant va alors croire qu’il doit changer quelque chose en lui pour être aimé. Il va vouloir devenir quelqu’un méritant d’être aimé.

L’amour conditionnel

À ce jeune âge, l’identité continue à se construire, et le risque est de croire que pour être aimé (et par extension pour exister) il faut être et se comporter d’une certaine façon. Les ressentis internes sont mis de côté, et suivre les règles, faire plaisir, bien se comporter deviennent prioritaires. Lorsque l’amour des parents est perçu comme conditionnel – si je suis un bon garçon, je serais aimé – l’identité se structure à partir des règles extérieures.

Une fois adulte, ce mécanisme se traduit par la nécessité d’être une bonne personne pour pouvoir être aimé et être heureux. Être une bonne personne c’est se conformer à l’attente de l’extérieur. Au lieu de désirer, de communiquer et d’agir à partir de ses ressentis, la personne va agir à partir de ce qu’elle croit devoir faire pour être une bonne personne.

Au lieu de prendre appui en soi pour savoir ce que l’on aime et pour agir, on laisse l’extérieur déterminer nos envies et nos choix. L’extérieur c’est que la famille et la société attendent de nous.

Face à une oeuvre au musée ou à un beau paysage, au lieu de vivre pleinement l’expérience, on va préférer prendre une photo. Car on a intégré inconsciemment que le ressenti est secondaire, que l’important est comment le monde nous perçoit. On se focalise sur l’utilité de l’expérience (un moyen de se mettre en avant) plutôt que de la vivre dans le moment présent.

Ces images deviennent un moyen de montrer à soi et au monde qu’on est une « bonne personne »: une personne qui a réussi, qui est belle, qui a des amis, qui fait des choses intéressantes.

Pas assez bien?

Le problème avec cela c’est que lorsque l’on agit à partir de l’extérieur on ne sait plus ce que l’on veut réellement et on perd confiance en nos ressentis et notre intuition. On se compare aux autres et l’on renforce l’idée que l’on n’est pas assez bien tel que l’on est maintenant.

Cette nécessité d’approbation n’est pas un phénomène récent. Ce qui a changé c’est la technologie qui à travers les téléphones portables nous permet de tout capturer et à travers les réseaux sociaux de tout partager. Instagram et les réseaux similaires ont simplement rendu plus visible ce phénomène.

Prenons des photos, mais surtout vivons pleinement l’expérience. Ressentons à travers tout notre être ce que le présent nous offre. La satisfaction ne peut pas venir des autres ou de l’extérieur. Elle ne peut venir que de notre capacité à savourer le moment présent.

Note et réf. : Time, April 2018. Musique de fin du podcast: Thimar d’Anouar brham/Surman/Holland.

Par Moutassem

Depuis 2012, j'enseigne la méditation et j'anime le podcast Pratiquer la Méditation. Mon premier métier est celui de chiropraticien où j'ai appris l'importance d'être connecté au corps. La méditation est venue naturellement après. Cela a changé ma vie : plus de stabilité émotionnelle, plus de confiance dans mon rapport aux autres et plus de joie au quotidien. Partager les bienfaits de cette pratique est ce que j'aime le plus faire. Durant ces 10 dernières années, j'ai publié plus de 550 épisodes en libre accès (vus ou téléchargé +3millions de fois). J'enseigne la méditation dans les écoles d'études supérieures, en entreprises et auprès du public. Je propose également des accompagnements individuels. Au plaisir de vous accompagner dans votre exploration de la méditation !