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Qu’est-ce que L’ AMOUR ? Réponse d’un moine Zen

« Aimer sans savoir comment aimer blesse la personne que l’on aime »

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Qu’est-ce que l’amour? On parle de l’amour inconditionnel, cet amour qui n’a besoin de rien en retour. Il y a l’amour passionnel qui peut détruire. Il y a l’amour omniprésent, celui qui émerge lorsque la peur disparait et donne du sens à la vie. La chanson ne dit-elle pas « Nous n’avons besoin que d’amour! »

Le sentiment d’amour accompagne nos vies. Parfois il grandit et d’autres fois se perd dans nos soucis. L’amour par moment nous apporte une grande joie, mais lorsqu’il semble avoir disparu, nous rempli de désespoir. Mais malgré cette proximité, pour beaucoup, l’amour reste un mystère.

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Mais qu’en pense le bouddhisme, cette philosophie épurée de la vie fondée sur l’expérience des sens et du moment présent?

Qu’est ce que l’amour selon le bouddhisme

La réponse nous vient de l’un de ses plus respectés porte-parole, le moine zen vietnamien Thich Nhat Hanh. Un ouvrage, How to Love (ed. Parallax Press), vient de paraître avec une collection de ses observations sur ce vaste sentiment humain.

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Nhat Hanh note en essence qu’aimer l’autre c’est le comprendre. Et par comprendre, il entend: être capable de ressentir, sans jugement, le profond sentiment d’insatisfaction qui fait souffrir la personne qui est face à nous. Comprendre l’autre commence par créer suffisamment d’espace en soi pour d’abord se comprendre soi-même et pour ensuite pouvoir accueillir l’autre.

Si vous mettez une poignée de sel dans un verre d’eau, l’eau devient imbuvable. Mais si vous mettez le sel dans une rivière, on peut continuer à y collecter l’eau pour cuisiner, nettoyer et la boire. La rivière est immense, et elle a la capacité de recevoir et de transformer. Lorsque nos coeurs sont étroits, notre compréhension et notre compassion sont limitées, et nous souffrons.

Nous ne pouvons alors pas accepter ou tolérer les autres et leurs manques, et nous demandons qu’ils changent.

Mais lorsque nos coeurs s’élargissent, ces mêmes choses ne nous font plus souffrir. Nous avons suffisamment de compréhension et de compassion et nous pouvons étreindre les autres. Nous acceptons les autres tels qu’ils sont, et alors, ils ont la possibilité de se transformer.

Il ajoute

Comprendre la souffrance d’autrui est le plus cadeau que l’on peut offrir à une personne. La ‘compréhension’ est l’autre nom de l’amour. Si vous ne comprenez pas l’autre, vous ne pouvez pas aimer.

Le moine zen explique que tout commence par soi. Pour aimer l’autre, il faut d’abord être conscient de ses propres sentiments.

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Lorsque nous nourrissons notre propre joie, nous nourrissons notre capacité à aimer. C’est pourquoi aimer c’est d’abord apprendre l’art de nourrir notre joie d’être.

Nhat Hanh observe que notre capacité à aimer a été influencée par notre éducation et nos proches.

Si nos parents ne se sont ni aimés ni compris, comment pouvons-nous alors savoir à quoi l’amour ressemble? Le plus précieux héritage que les parents peuvent donner à leurs enfants est leur propre bonheur.

Nhat Hanh parle aussi de la différence entre infatuations, ce fantasme de ce que l’autre peut devenir pour soi, et amour.

Souvent, nous désirons une personne non pas parce que nous l’aimons et la comprenons véritablement, mais pour nous distraire de nos propres souffrances. Lorsque nous apprenons à aimer et à comprendre qui nous sommes, ainsi qu’à développer une vraie compassion envers soi-même, alors nous pouvons vraiment aimer et comprendre la personne en face de soi.

Nous ne sentons parfois vide avec un grand sentiment de manque. Nous n’en connaissons pas la cause: c’est très vague, mais ce sentiment de vide en soi est bien présent. Nous espérons que quelque chose de mieux arrive pour nous permettre de nous sentir moins seuls, moins vides.

Le désir de se comprendre et de comprendre la vie est profond. Il y a également une forte aspiration à être aimé et à aimer. Nous sommes prêts à être aimés et à aimer. C’est tout à fait naturel.

Le moine zen ajoute que parce que nous nous sentons vides, nous essayons de trouver quelque chose à l’extérieur pour compenser ce manque. Au lieu de prendre le temps de mieux nous connaître soi-même, nous nous précipitions vers les objets de l’extérieur pour assouvir notre mal-être.

Lorsque nous utilisons l’autre pour assouvir nos attentes, ce qui n’est bien sûr pas possible, nous allons continuer à nous sentir vides. Chez la plupart des gens, il y a ce désir continu et cette attente que quelque chose de mieux va arriver.

Ce perpétuel sentiment d’insatisfaction ne peut pas se résoudre à l’aide de l’extérieur (rencontrer un partenaire de vie, s’enrichir…). Il est une invitation à développer plus de compréhension et de compassion envers soi-même.

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Nhat Hanh continue sur l’importance de d’abord faire la paix avec soi-même avant de pouvoir rencontrer l’autre.

L’essence de l’amour bienveillant est d’être capable d’offrir de la joie. Vous pouvez être comme un rayon de soleil pour une autre personne. Vous ne pouvez pas offrir de la joie tant que vous ne l’avez pas en vous. Donc, construisez un refuge en vous, en vous acceptant et en apprenant à vous aimer et à vous guérir. Apprenez à pratiquer la pleine conscience de telle façon à pouvoir créer ses moments de joie pour votre bien-être. Alors seulement, vous aurez quelque chose à offrir à l’autre personne.

Lorsque vous aimez une personne, il doit y avoir de la confiance et de la complicité. L’amour sans confiance n’est pas tout à fait de l’amour. Bien entendu, vous devez d’abord commencer par avoir de la confiance et du respect envers vous même. Sachez que vous avez de la bonté et de la compassion en vous. Vous faites partie de l’univers; vous êtes fait de poussières d’étoiles. Lorsque vous regardez la personne que vous aimez, vous voyez qu’elle est aussi faite d’étoiles et qu’elle porte l’éternité en elle.

Développer une profonde appréciation pour la vie, pour votre vie et pour celle de la personne en face est un prérequis pour une relation harmonieuse. Autrement le risque de souffrir et de faire souffrir est bien réel.

Aimer sans savoir comment aimer blesse la personne que l’on aime. Pour savoir comment aimer, nous devons les comprendre. Pour les comprendre, nous devons les écouter.

Le plus vous comprenez une personne, le plus vous l’aimez; le plus vous l’aimez, le mieux vous la comprenez. Ce sont les deux faces d’une même réalité. L’esprit d’amour et l’esprit de la compréhension sont identiques.

Le moine vietnamien nous invite à d’abord nous connaître véritablement, et c’est là tout le but de la pratique de la pleine conscience. Car à travers la connaissance – plonger en soi – naissent l’appréciation et la compassion, et à partir de là, l’amour, qu’il soit romantique ou envers toute autre personne, peut s’épanouir.

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Découvrez ce simple et efficace exercice de pleine conscience >>

Note: Version texte initialement publiée en avril 2015

Sources et références: Source: Maria Popova – Brainpickings ; Livre: How to Love, Thich Nhat Hanh, Ed. Parallax Press, collection Mindful Essentials, 96 pages ; Photographie illustration: RENAULT Philippe ; Photographie Thich Nhat Hanh: Paul Davis (plumvillage.org)

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Paroles de Sagesse Penseurs et Visionnaires Philosophie Podcast

La Grâce et la Pesanteur – Paroles de Sagesse, Simone Weil

Tous les mouvements naturels de l’âme sont régis par des lois analogues à celle de la pesanteur matérielle. La grâce seule fait exception.

– Simone Weil (La pesanteur et la grâce)

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Sources: Simone Weil (Wikipedia), Revue Ultreïa!

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Paroles de Sagesse Penseurs et Visionnaires Podcast vivre le moment présent

On Ne Peut Pas Être Heureux Demain

« Si l’on cherche à retenir sa respiration, on perd sa respiration » – Alan Watts

Alan Watts (1915-1973), auteur et philosophe, fut l’un des premiers à introduire en occident l’importance de vivre le moment présent. Il a mis en avant un concept simple: poursuivre le bonheur dans le futur est futile, car la joie se vit uniquement dans le moment présent.

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Selon Watts, l’homme et la femme moderne veulent s’assurer que le futur soit heureux pour éprouver de la joie aujourd’hui. Il note que beaucoup de personnes s’attachent à leur projection du futur (perçu comme heureux ou malheureux) et que cela affecte leur état au présent. Elles croient en leur idée du futur, car certaines projections sont crédibles: nous allons tous mourir. Cela donne l’illusion que l’idée que l’on se fait du futur est réelle, si réelle que l’on oublie le présent.

Dans l’Eloge de l’insécurité, il écrit:

Nos sens connaissent la réalité pour ce qu’elle est, mais ne connaissent pas le futur. L’intellect quant à lui observe la mémoire, et en l’étudiant, est capable de faire des prédictions. Ces prédictions peuvent être relativement justes, et le futur assume alors un haut degré de réalité. Si haut que le présent perd de sa valeur.

Mais le futur n’est pas encore là, et il ne peut pas être expérimenté en tant que réalité tant qu’il n’est pas présent. Étant donné que ce que nous connaissons du futur est fait de pures abstractions – déductions, projections, suppositions -, il ne peut pas être mangé, ressenti, senti, vu, entendu ou en d’autres termes apprécié.

Poursuivre le futur c’est poursuivre un fantôme qui ne cesse de changer, et plus vite vous le pourchassez, plus vite il file.

C’est pourquoi les affaires de la civilisation sont pressées, pourquoi si peu de personnes apprécient ce qu’elles ont et veulent toujours plus. Le bonheur, ne consiste plus en une réalité solide et substantielle, mais est désormais fait d’abstractions et de choses superficielles comme les promesses, l’espoir et la sécurité.

Dans cet extrait Watts pointe du doigt un dysfonctionnement profond de nos sociétés modernes: On veut s’assurer que demain sera heureux pour se permettre d’être heureux aujourd’hui. Cette quête de la sécurité et de l’assurance d’un meilleur lendemain est la source même de notre insatisfaction.

Le monde est sans cesse changeant et rien n’est garanti. Remettre sa capacité à être heureux aujourd’hui sur un futur hypothétique va être source de frustration et de déception. Attendre d’avoir plus de temps, plus d’argent, ou plus d’amour pour être heureux, c’est s’assurer de vivre dans un état continu d’insatisfaction et de stress.

Plus l’on recherche la sécurité, plus l’on veut s’assurer que « tout va bien se passer », et plus l’on va se crisper et se fermer au présent.

Comme Watts l’illustre bien dans cette phrase: « Si l’on cherche à retenir sa respiration, on perd sa respiration ».

À trop vouloir améliorer notre présent, on risque de le perdre. À trop être dans sa tête, dans son mental et ses projections, on se déconnecte du corps, de nos sens, et de notre capacité à éprouver de la joie.

La véritable joie ne peut se vivre que dans le présent. Demain ne pourra être heureux que si aujourd’hui l’est.

Vous avez aimé cet article et vous pensez que certaines de vos connaissances peuvent l’apprécier? Merci de le partager.

Pour réapprendre à apprécier le moment présent, la méditation est une aide précieuse. Pour faire  votre première méditation, vous pouvez accéder au pack d’introduction (proposée gratuitement) en cliquant ici.

alan-watts-1Alan Wilson Watts, (1915-1973), est l’un des pères de la contre-culture aux États-Unis. Philosophe, écrivain, conférencier et expert en religion comparée, il est l’auteur de vingt-cinq livres et de nombreux articles traitant de sujets comme l’identité individuelle, la véritable nature des choses, la conscience et la recherche du bonheur. Dans ses ouvrages, il s’appuie sur la connaissance scientifique et sur l’enseignement des religions et des philosophies d’Orient et d’Occident (bouddhisme Zen, taoïsme, christianisme, hindouisme). Par ailleurs, il était intéressé par les nouvelles tendances apparaissant en Occident à son époque, et se fit l’apôtre d’un certain changement des mentalités quant à la société, la nature, les styles de vie et l’esthétique. (Wikipedia)

Sources et ref: Maria Popova (Brainpickings); L’éloge de l’insécurité (ed. payot) 

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Penseurs et Visionnaires

S’Autoriser À S’Ennuyer

« L’ennui fait le fond de la vie, c’est l’ennui qui a inventé les jeux, les distractions, les romans et l’amour. » – Miguel de Unamuno (Brouillard)

S’Ennuyer

Seth Godin est considéré comme l’un des papes du marketing moderne. Il avance l’idée que l’on a tous quelque chose à contribuer. Seth, qui est l’auteur de 18 ouvrages à succès, pense que l’on porte en soi une sensibilité et une créativité qui ne cherchent qu’à s’exprimer. Et pour permettre cette expression, il préconise de s’autoriser à s’ennuyer.

Ne rien faire permet, selon lui, le développement de la créativité. À l’opposé Seth affirme que se distraire sans arrêt empêche la personne de créer et de produire. Je pense comme Seth que nous passons beaucoup (trop?) de temps à nous distraire sur nos téléphones portables, devant la télé, ou en tournant les pages d’un magazine.

Plus de temps morts

On n’a quasiment plus de temps sans rien faire. On dégaine notre smartphone au moindre « temps mort » et l’on se laisse porter par les posts Facebook, les vidéos sur YouTube, les échanges et commentaires … Tout ce temps passé à consommer du contenu qui au mieux est distrayant, au pire est anxiogène, nous éloigne de notre monde intérieur.

« Surtout, ne pas confondre tristesse et ennui. » – Jules Renard (Journal 1893 – 1898)

S’autoriser à s’ennuyer, c’est permettre une pause où les idées et les aspirations peuvent à nouveau éclore en soi. La prochaine fois que vous vous retrouverez dans la salle d’attente du dentiste, à la caisse du supermarché, ou dans votre salon sans personne autour, ne faites rien. Autorisez-vous ce moment de flottement. Cela sera peut-être le premier pas vers l’élaboration d’un projet qui aura du sens pour vous et qui enrichira considérablement votre vie.

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Une matinée avec le Dalaï-Lama

Pico Iyer, voyageur et écrivain, a côtoyé le Dalaï-Lama durant ces 30 dernières années. Il a visité de multiples fois le célèbre chef spirituel dans sa maison en exil. Dans The Open Road: The Global Journey of the Fourteenth Dalaï-Lama, Pico Iyer décrit à quoi ressemble une journée dans la vie du Dalaï-Lama en commençant par le matin:

À 9 heures du matin… le Dalaï-Lama est lui déjà debout depuis plus de 5 heures, se réveillant, comme tous les matins, à 03:30. Il passe les premières 4 heures de sa journée à méditer sur les racines de la compassion et sur ce qu’il peut faire pour son peuple, pour « ses frères et soeurs chinois » qui tiennent son peuple en otage, et pour le reste du monde, tout en se préparant aussi à sa mort.

Le Dalai-lama en méditation dans sa maison au Dharamsala (Inde)
Le Dalai-lama en méditation dans sa maison au Dharamsala (Inde)

En plus de méditer sur la compassion, le chef spirituel passe une partie de sa matinée à s’informer sur l’état du monde. Dans la tradition bouddhiste, le Dalaï-Lama « explore le monde de près, pour en comprendre ses lois, et pouvoir ainsi voir ce que peut ou ne peut pas être fait dans les limites de ces lois. » Il utilise les médias de tous bords. Pico écrit:

En tant qu’étudiant de la vie, chef de son peuple avant l’âge de 5 ans, il écoute tous les matins Voice of America, la BBC East Asian Broadcat, la BBC World Service – parfois en méditant – et il dévore les magazines Time et Newsweek.

Si le Dalaï-Lama s’expose volontiers à toute cette information, il fait preuve de discernement et reste vigilant face à l’approche souvent biaisée des médias. La loi d’interdépendance chère au bouddhisme lui rappelle qu’il n’y a ni gentils ni méchants, que nous sommes tous interconnectés.

Pico écrit que le Dalaï-Lama considère que:

… nous faisons tous partie d’un même corps, et penser « moi » et « toi », c’est comme penser que l’intérêt de la main droite est différent de celui de la main gauche. Il est fou de vouloir entraver son voisin, car il fait partie intégrante de votre bien-être.

Le Dalaï-Lama consacre donc sa matinée à méditer sur la compassion, et sur comment contribuer à améliorer ce monde où tout est connecté et interdépendant. Mais, comme le note Pico, il sait que la solution aux problèmes du monde n’est pas extérieure, car elle ne peut que venir de l’intérieur de chacun d’entre nous. Pico écrit:

Les bouddhistes ne recherchent pas de solutions à l’extérieur d’eux-mêmes, mais simplement à s’éveiller intérieurement. L’instant où nous réalisons que nos destinés et notre bien-être sont mutuellement dépendants, le reste apparait naturellement (la méditation permet parfois à atteindre cette réalisation, et la réflexion permet de la consolider). Si vous croyez cela, la vie vous donnera l’occasion d’avoir beaucoup plus de moments d’éclats de rire, comme le Dalaï-Lama en est la preuve.

Le Dalaï-Lama est célèbre pour ses éclats de rire. ici à Haridwar (en Inde lors de la Kumbh Mela) avec un sage indien. David Ducoin (c)
Le Dalaï-Lama est célèbre pour ses éclats de rire. ici à Haridwar (en Inde lors de la Kumbh Mela) avec un sage indien. David Ducoin (c)

Le rituel matinal du Dalaï-Lama est une belle source d’inspiration. Il nous rappelle l’importance de cultiver la compassion.

Dans la continuité de cet article, je vous recommande de lire l’article sur le Bouddhisme Engagé.

Sources et référencesbrainpickings.org  / source image du Dalai-Lama dans sa maison: thesunbehindtheclouds.com / source image du Dalai-Lama en plein rire: David Ducoin

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Le Sacré Passe Désormais par l’Amour

La notion du sacré, « ce pour quoi nous sommes prêts à nous sacrifier » a beaucoup évolué dans nos sociétés modernes. Le sacré est passé de la sphère publique (la religion, la grande nation, la révolution) à la sphère privée (le couple, les enfants, la famille, les amis). Il prend désormais son sens à travers l’expression de l’amour envers nos proches. Et cela semble être une bonne chose pour l’évolution de l’humanité.

Dans le passé, le sacré était surtout imposé par l’extérieur (autorité religieuse, monarchique, sociale). On mettait de côté la réflexion et les sentiments, et l’on acceptait de fait les valeurs de nos aïeux.

Le sacré migre de la sphère publique à la sphère privée

Aujourd’hui, le libre arbitre est devenu une valeur fondamentale dans nos sociétés modernes. La liberté de croire et de penser a permis de se libérer de la soumission aveugle à l’autorité.

Nous n’avons pas pour autant perdu l’aspect sacré de la vie. Le sacré a simplement migré de la sphère extérieure à la sphère personnelle.

Le philosophe Luc Ferry note que le sacré peut s’exprimer en dehors des religions. Il précise que les notions de transcendance et de sacré ne sont pas incompatibles avec la raison et la réflexion malgré ce que de nombreux intellectuels choisissent de croire.

Et de fait, le sacré, autrefois attaché à des notions abstraites comme la foi, la religion, ou encore les principes révolutionnaires, passe aujourd’hui dans la sphère plus concrète de la vie intime.

Se sacrifier pour la religion ou la nation? Non.

Dans une grande partie du monde, les hommes et les femmes ne sont plus disposés à sacrifier leur vie pour une religion ou un pays. Par contre, un parent serait prêt à se sacrifier pour son enfant.

Ce décalage des valeurs essentielles (allant du public à l’intime) a commencé à se faire, dans le monde moderne, lorsque l’on a commencé à vraiment aimer nos enfants au 18e siècle.

Luc Ferry écrit:

C’est au 18e siècle (lors de la Révolution française) que l’on voit apparaître un tout nouveau type d’organisation de la famille. Jusqu’alors, celle-ci avait été organisée par la tradition, le clan, le village, avec des buts essentiellement économiques et lignagers – la survie, le maintien de la race, de la maison – quelles que soient les affinités des gens entre eux. À partir du 18e siècle, on passe de plus en plus à une famille fondée sur l’affinité élective et le choix, donc sur le sentiment. C’est le moment où l’on va commencer à aimer ses enfants.

L’amour devient une valeur fondamentale et sacrée

Est-ce que cela veut dire qu’avant le 18e siècle, on n’aimait pas ses enfants? Bien sûr que non. Par contre, l’amour de nos petits venait après la nécessité de se conformer aux moeurs en cours. On pouvait marier sa fille à un vieil homme, malgré sa réticence, pour plaire à l’autorité. On pouvait rejeter son enfant, car il ou elle ne se conformait pas aux règles religieuses.

Aujourd’hui, l’amour pour ses enfants et pour ses proches est devenu une valeur fondamentale et sacrée. L’important n’est plus de se conformer à l’extérieur, mais de s’épanouir de l’intérieur. Même la spiritualité, autrefois rattachée aux règles de la religion, devient une expérience avant tout personnelle et intime. Elle passe des lieux de culte à la maison.

Sommes-nous devenus plus égoïstes?

Ce décalage de la sphère publique à la sphère privée est parfois perçu comme un signe de l’individualisme de notre époque: un rapport égoïste centré sur soi et ses proches. Pourtant, c’est bien l’opposé qui se produit.

L’amour pour nos proches et surtout pour nos enfants nous apprend l’amour désintéressé. Cela permet de transcender nos besoins personnels. C’est la définition même du sacré qui suppose une valeur plus essentielle que la simple survie. L’amour pour les autres nous apprend que la vie ne se limite pas à des instincts de survie et que notre bien-être est directement lié à celui des autres.

Aimer ses proches c’est être capable de comprendre la souffrance d’un inconnu ayant perdu un des siens. C’est la fondation de la compassion. Donc paradoxalement, le décalage du sacré vers l’intime nous rend plus ouvert envers l’extérieur. Et c’est une très bonne chose.

Dans la continuité de cet article, je vous recommande de regarder ce plaidoyer pour l’altruisme.

Sources et bio

Sources: Nouvelles Clés, n°10 ; Image illustration: arztsamui.

luc ferryLuc Ferry est agrégé de philosophie et de sciences politiques. Il fut ministre de l’Éducation nationale en France (2002-2004). Il définit la philosophie comme une voie de salut. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont L’Homme-Dieu ou le sens de la vie (éditions Grasset).

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Définitions et Lexique Penseurs et Visionnaires Philosophie

Le Double Sens de la Méditation avec le Philosophe Scientifique Edgar Morin

« La méditation? On entre dans une expérience vécue qui ne peut se transmettre sinon métaphoriquement, et laquelle donne le sentiment profond d’atteindre la vérité de l’univers, ou du réel. »

Lorsque j’ai commencé ce blog, je pensais surtout écrire sur la définition ‘orientale’ de la méditation: une contemplation de l’instant présent où la pensée passe en arrière-plan. Puis au long des mois, le besoin d’approfondir la réflexion m’a amener à méditer certains sujets. ‘Méditer’ selon le sens classique du terme que Michel de Montaigne décrivait comme « un moyen riche et puissant pour quiconque sait comment examiner son esprit et s’y emploie avec vigueur. » Méditer pour retrouver le moment présent, mais également méditer pour mieux comprendre le monde autour de soi. Ces deux formes de méditation se complètent de plus en plus dans mon quotidien.

D’où mon agréable surprise de redécouvrir un entretien avec Edgar Morin, philosophe, sociologue et directeur de recherche au CNRS, dans lequel il expose la nécessité de cette double méditation (ressenti et réflexion) pour permettre l’épanouissement de l’être et de la société.

Selon Edgar Morin, on ne peut séparer la contemplation (méditation orientale) de la méditation sur le sens des évènements de la vie. Dans son entretien publié en 1988 dans la première édition de Clé Magazine, il explique le double sens du mot méditation.

Le premier sens du mot méditer, c’est de réfléchir de façon à la fois calme et approfondie, se donner le temps, après une lecture, après un spectacle, voire après un repas, de savourer, de soupeser […]

Ce type de méditation, qui pouvait exister dans la culture occidentale des siècles passés, tend à être éliminé par la chronométrisation généralisée et accélérée de tout.

[…]

Les pensées orientales arrivent vers l’Occident, d’abord sous les formes les plus assimilables, c’est-à-dire les yogismes. À travers ces formes, le mot de méditation réapparait. Mais avec un deuxième sens… Il s’agit de méditer ce qui est à la limite même de la pensée.

Le philosophe constate que la société et ses individus ne prennent plus le temps d’approfondir la réflexion et que cela les prédispose à faire les mêmes erreurs.

Celui qui oublie l’erreur qu’il a faite dans sa vie est condamné à la répéter. Nous ne prenons pas le temps de méditer sur nos erreurs. En fait, la méditation ajoute à la réflexion une sorte de temps plus relâché, plus organique, plus biologique.

Tout va très vite (déjà en 1988!) et les gens subissent leur quotidien plutôt que de le vivre.

Nous sommes tous des gens pris dans un activisme généralisé. Celui-ci n’est pas de l’action: nous ne sommes pas actifs, nous sommes activisés. Ce qu’on croit être de l’action est en fait complètement subi, car ce qui nous catapulte, ce sont les coups de téléphone, les rendez-vous, les obligations…

Pourquoi ne prend-on plus le temps de réfléchir en profondeur sur le sens de la vie? Edgar Morin pointe du doigt la peur de l’inconnu, du « néant ». D’origine juive séfarade, mais se déclarant athée, il constate que la culture, d’abord religieuse puis scientifique, fait tout pour nous donner l’illusion que ces questions existentielles ne sont plus nécessaires, pour nous rassurer et nous garder dans les rangs.

D’où vient le problème? Notre culture européenne est d’abord l’héritière du judéo-christianisme, c’est-à-dire de traditions qui éliminent le néant individuel, en disant à chacun: vous serez sauvé, il y aura la résurrection du corps. Cette idée on la trouve déjà chez les prophètes qui précèdent le Christ. Autrement dit, chaque individu a le moyen d’éliminer sa propre mort.

Ensuite, ce qui a succédé au christianisme, toute la pensée laïque qui démarre avec le rationalisme, la science, la technique, est une pensée qui va vers la conquête du monde, et qui, par là même, dissout elle aussi le néant. Ce progressisme voit l’homme devenir le maître absolu de la nature.

Mais déjà à la fin du siècle passé, et encore plus aujourd’hui, ces certitudes perdent de leur poids.

Notre siècle aboutit à la double idée qu’il n’y a de certitude ni philosophique ni scientifique. Bien entendu, il y a des tas de certitudes locales, régionales, mais nous n’avons plus de certitudes absolues sur lesquelles fonder un système de pensée qui serait une lumière sur toute chose.

C’est là que le sens oriental de la méditation devient salvateur, car la méditation va permettre de reprendre conscience de l’aspect invisible de la vie. Même une partie de la science (trop peu importante regrette Edgar) semble embrasser la nécessité d’atteindre à travers l’expérience la « vérité de l’univers ».

Chez les scientifiques, c’est la quête d’un Bernard d’Espagnat ou d’un David Bohm, qui, par des moyens différents, arrivent à l’idée qu’il y a quelque chose de nécessaire à notre univers spatio-temporel, mais qui échappe au temps et à l’espace.

[…]

Dans tout ce qui se situe en deçà du temps et de l’espace, il n’y a plus de séparation possible, c’est l’inséparabilité dont parle d’Espagnat. Et donc on arrive par les voies de la science à l’idée qu’il y a une sorte de totalité indicible dont on ne peut rien dire et dont on ne peut simplement que reconnaître l’existence, sans pouvoir même la situer.

Face à cela, nous sommes sommés de méditer. On entre dans une expérience vécue qui ne peut se transmettre sinon métaphoriquement, et laquelle donne le sentiment profond d’atteindre la vérité de l’univers, ou du réel.

Edgar Morin conclut son entretien en indiquant que le changement ne peut venir qu’au niveau individuel. Et il insiste sur la nécessité d’une double méditation. D’une part, approfondir la réflexion et d’autre part développer l’écoute interne (méditer immobile) pour ne plus subir le monde, mais l’habiter pleinement.

La seule chose que je crois, c’est que la révolution salutaire ne pourra pas venir uniquement de l’extérieur, c’est-à-dire par des réformes d’institutions, par des changements économiques et politiques. La mutation viendra aussi de l’intérieure, et sans doute à deux niveaux: d’abord par ce que j’appelle la réforme de pensée, qui consiste à penser d’une façon plus complexe et plus riche, plus adéquate, moins mutilée; et deuxièmement par une réintériorisation de l’existence humaine, qui cessera de s’agiter dans tous les sens uniquement en fonction des conquêtes extérieures.

Le travail d’Edgar Morin, docteur honoris causa de plusieurs universités à travers le monde, « exerce une forte influence sur la réflexion contemporaine, notamment dans le monde méditerranéen et en Amérique latine, et jusqu’en Chine, Corée, Japon. »* Je trouve encourageant qu’une telle figure intellectuelle soutienne l’importance d’un retour vers soi à travers l’expérience et la réflexion.

Grâce à nous tous, le monde peut graduellement évoluer vers plus de conscience et de compassion, et vers moins de souffrances. Commençons chacun chez soi par prendre le temps de méditer, ne serait-ce que 10 minutes par jour.

Sources: Clé magazine n°1 ; illustration de tiverlucky ; *Edgar Morin wikipedia; brainpickings pour la citation de Montaigne.

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Créer Une Société Qui Soutient l’Homme Au Lieu de l’Écraser par Pierre Rabhi

« J’ai tendance à croire que notre raison d’être est l’enchantement. »

Pierre Rabhi, né en 1938, philosophe, biologiste, agriculteur et auteur, souhaite une société plus respectueuse de l’homme et de la terre. Dans une tribune publiée dans happinez, il partage sa vision d’un monde plus sain et plus harmonieux.

Pour Pierre Rabhi le vrai changement ne peut survenir qu’au niveau de l’individu. L’amélioration de la société ne peut être le résultat que d’une prise de conscience vécue par les individus que la constituent.

Il ne faut pas s’accrocher aux alternatives en se disant qu’elles vont changer la société. La société changera quand la morale et l’étique investiront notre réflexion. Chacun doit travailler en profondeur pour parvenir à un certain niveau de responsabilité et de conscience, et surtout à cette dimension sacrée qui nous fait regarder la vie comme un don magnifique à préserver.

Pierre, qui est considéré comme l’un des artisans de l’altermondialisme – mouvement qui met en avant des valeurs comme la démocratie, la justice économique et sociale, la protection de l’environnement et les droits humains – souligne qu’une société plus juste ne peut exister que si l’on prend conscience de l’interconnexion de la vie.

J’appartiens au mystère de la vie et rien de me sépare de rien. Je suis relié, conscient et heureux de l’être.

Le père de Pierre, forgeron, musicien et poète, a été contraint de fermer son atelier et de travailler à la mine. Pierre fût sensibilisé dès son plus jeune âge à la dureté économique d’une société qui va de plus en plus vite.

Nous avons choisi la frénésie comme mode d’existence et nous inventons des machines pour nous la rendre supportable. temps-argent, temps-production, temps sportif aussi – où l’on est prêt à faire exploser son coeur et ses poumons pour un centième de seconde… tout cela est bien étrange. Nous nous battons avec le temps qui passe […] ce n’est pas le temps qui passe mais nous qui passons.

« Quel est le sens de la vie? » Pierre Rabhi, né Rabah Rabhi en Algérie dans une famille musulmane se converti au christianisme à 16 ans, mais fini également par se détacher de cette religion. Aujourd’hui, il ne se sent lié à aucune croyance ou religion en particulier. Il a néanmoins foi dans une intelligence universelle et la vie est pour lui l’occasion de s’émerveiller devant la beauté de l’univers.

Je tiens pour ma part à me relier à ce qui me paraît moins déterminé par la subjectivité et la peur, à savoir l’intelligence universelle. Cette intelligence qui ne semble pas chargée des tourments de l’humanité, qui régit à la fois le macrocosme et le microcosme, et que je pressens dans la moindre petite graine de plante. Face à l’immensité de ce mystère, j’ai tendance à croire que notre raison d’être est l’enchantement.

Pierre croit en un développement durable et en un mode de vie en accord avec l’environnement. À partir de 1981, il se rend au Burkina Faso en tant que « paysan sans frontières » à la demande du gouvernement de ce pays. Dans la décennie qui suit, il met en place « Oasis en tous lieux » qui vise à promouvoir le retour à une terre nourricière et la reconstitution du lien social. Il est fondamental pour Pierre Rabhi que l’individu arrête de « courir » et de consommer, pour privilégier le simple bonheur d’exister.

La finalité humaine n’est pas de produire pour consommer, de consommer pour produire, ou de tourner comme le rouage d’une machine infernale jusqu’à l’usure totale. C’est pourtant à cela que nous réduit cette civilisation dans laquelle l’argent prime sur tout mais ne peut offrir que le plaisir. Des milliards d’euros sont impuissants à nous donner la joie, ce bien immatériel que nous recherchons tous, consciemment ou non, car il représente le bien suprême, à savoir la pleine satisfaction d’exister.

Le paysan philosophe conclut sa tribune en notant que l’important est d’être dans une attitude de réceptivité.

Prétendre que l’on génère l’enchantement serait vaniteux. En revanche, il faut se mettre dans une attitude de réceptivité, recevoir les dons et les beautés de la vie avec humilité, gratitude et jubilation.

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Sources et liens utileshappinez (magazine) ; Pierre Rabhi Wikipedia ; Pour en savoir plus sur le travail de Pierre Rabhi, découvrez Colibri, coopérer pour changer et  Oasis en tous lieux.